Eternel recommencement. Horrible reprise d’une réalité qui ne cesse jamais. Quand ce cauchemar cessera-t-il enfin ? Difficile de le dire, encore plus de le prédire. La Blackthorn est là, alternant entre des journées affalée dans le canapé à lire on ne sait quoi d’ailleurs et d’autres où elle monopolise la salle de bain indéfiniment. Des ouvrages de psychomagie de ce que tu as pu lire. Et cela t’agace d’autant plus que tu lui suppose un savoir sur ta personne et sur l’humain de manière générale. Si c’est une future psy, elle doit être à-même de comprendre tes moindres faits et gestes. C’est flippant.

En bref, tu en as ras le bol. Tu n’es pas prêteur, encore moins lorsqu’il est question de ton compagnon, Kaiden. Autrement dit son frère. Oui, certes, tu ne peux rien dire étant toi-même logé chez lui, dans cet appartement attenant à la boutique Becs et Museaux. Mais tout de même, ça commence à bien faire. T’es une tête brûlée, un petit con comme certains professeurs devaient le penser à l’époque où tu t’incarnais en tant que Grymm. Avec ta jumelle vous étiez redoutés des étudiants, méprisés et punis des enseignants. Tu demeurais doué. L’inverse serait inimaginable pour un élève provenant d’une famille pure.

Tu sors de ces pensées qui te ramènent à un passé lointain. Inutile de s’afférer à se préoccuper des événements d’avant. Tu prévois un coup de maître ce matin. Après ça, elle ne pourra plus rester ici. Tu sais qu’elle sort parfois dans ce que les moldus appellent des ‘’boîtes de nuit’’. Quelle débilité de se réunir et de grouiller dans un endroit de la sorte. Dans ton esprit puriste, c’est l’image d’une boîte de carton qui persiste. ‘’Allez en boîte’’, cette expression tu peines à la comprendre du fait de ton éducation traditionaliste. Tu ne peux juste pas le concevoir, le comprendre.

Donc, tu sais qu’elle rentrera sur le matin. Kaiden est encore au lit, endormi et tu sais que le bellâtre confectionne systématiquement une mixture afin d’éviter toute gueule de bois ou tout effet délétère de la nuit passée. Qu’il te pardonne, t’es intenable. Tu embrasses doucement son épaule, ta barbe effleurant son biceps. Il dort profondément. Tu t’extirpes du lit, passe vite par la case douche et fait en sorte de dégager la serviette qui était habituellement destinée à la sorcière.

Mieux, tu ajoutes des extraits concentrés de sauge officinale dans la potion que tu traficotes pour en dissimuler l’odeur et le goût. Au pire, elle sera probablement trop amochée pour s’en apercevoir. Mais quand même, de quoi lui retourner l’estomac et la rendre malade pour quelques jours. Vengeance personnelle, de bonne guerre. Tu prends donc ton café, consultant La Gazette du Sorcier du matin. Tu soupires d’aise en écoutant la porte d’entrée. « Blackthorn … » lances-tu en guise de salutations. « Tu as encore passé la nuit dans … une boîte ? » Témoignant ici de ton incompréhension la plus totale. « Je ne te propose rien à boire, j’imagine que tu ne peux plus rien ingurgiter ».

Phalanges froissent le papier du journal au bruit de la porte d’entrée. Les nouvelles retracent immanquablement ce qu’il semble se tramer à l’intérieur de l’Université. Une interview de la Vice-Présidente, des échanges rapportés entre responsables du gouvernement. Tout cela n’est pas foncièrement rassurant. Ce meurtre sur un moldu n’a rien de terrible à tes yeux. C’est ainsi. Mais tu te gardes tes opinions dépassées avec Kaiden qui n’adhère pas franchement à cela. Parfois tu peux penser qu’il est trop laxiste sur les valeurs qui fondent la pureté. Et en même temps tu les enfreins toi aussi en étant seulement à ses côtés. Mais cela, tu te refuses de l’admettre.

L’accueil n’est pas du meilleur acabit, tout comme la réponse qui se fait entendre. Haine silencieuse. Guerre froide. Affrontement à demi-mots. Qu’en sera-t-il cette fois puisque le blond n’est pas présent pour arbitrer, stopper les échanges ? Ce qu’elle souffle coupe court au discours. Un thé. Eh bien tu vas lui en servir un, et après le trafic opéré sur sa potion anti-gueule-de-bois, dieu sait que tu auras ta vengeance. Diabolique et efficace, l’usage de cette substance macérée sera en mesure de lui donner de belles crampes d’estomac. Empoisonneur de pacotille en l’instant, il est vrai que tu pourrais faire pire. Mais ce serait nuire à Kaiden et cela demeure impossible.

« Un thé pour l’Insupportable ». Tu hausses les sourcils. « Je ne manquerais pas de te servir de l’eau bouillante ». Ne serait-ce que pour la voir se brûler la langue. Maudite vipère aux reflets jaunâtres des Summerbee. Une maison qui à tes yeux n’a pas la stature des Grymm. Toi, l’ancien vert et argent, noblesse ancrée, ambition démesurée. Et pourtant tu n’as pas été à-même de poursuivre tes études jusqu’aux DEFIS. Plus par non-respect des règles que par manque de connaissances. Ton cerveau est aussi rempli qu’une bibliothèque. Mais être studieux, ce n’est pas toi.

« Sais-tu qu’à l’époque on brûlait les rousses sur le bûcher ? » Discrimination volontaire, sans aucune honte et balancée au travers de la pièce pour qu’elle l’atteigne jusqu’à la salle de bain. Véritable peste dans ton genre. Vous deux, vous ne manquez pas de répartie, tu lui dois bien cela. Tu poursuis ta lecture, maintenant la température de l’eau à l’ébullition. Aucune envie de la faire refroidir. Qu’elle aille en enfer. Tu l’y rejoindras de toute façon.

La belle-famille peut parfois se révéler difficile à suivre. Tant et si bien que tu détestes la blonde. Il n’y a rien qui vous rapproche si ce n’est votre amour commun pour son frère. Tu la trouve fade, à peine légitime dans cette lignée pure qu’incarne le nom Blachthorn. Les débuts ont été corrects. De son côté volontiers amicale, puis tes travers – et les siens – ont pris le dessus. Tu ne supportes plus cette suffisance d’étudiante en médicomagie. Ses sourires à peine sincères. C’était trop. Too much comme disent les moldus – il paraît.

Par chance le conflit n’est pas ouvertement armé. L’hémoglobine aurait déjà coulée. Il est dommage que le Ministère de la Magie n’adhère pas aux méthodes violentes. Toi-même, emprunt d’une réelle propension à l’agacement, tu t’emportes bien vite. De façon démesurée il t’arrive de traiter les situations. Le feu résonne, gronde dans ton cœur. Tête brûlée, parfois jugé comme étant un véritable connard. T’as bien peu d’états d’âmes, encore moins dirigés vers elle.

Tu doutes que le sommeil de Kaiden ne soit préservé encore longtemps avec de telles énergies négatives. Jugement sur le physique, c’est facile mais efficace. Le froid de son œillade est terne et flatte l’égo puristes dont ta silhouette toute entière est parée. Il n’est rien de plus agaçant que ton arrogance. Et tu la définissais comme suffisante ? Trêve de plaisanteries, Delgado. T’es pas mieux. Fuse des propositions de bas étages, tous les deux vous reflétez ce que vous vous refusez d’être. Et pourtant.

Tu brûlerais sur le bûcher sans aucune concession toi aussi. Peut-être serais-tu à ses côtés ? Quelle horreur. Tu préfères vomir ces pensées. Référence à l’homosexualité qui traverse ton esprit et y persiste un temps long et inconfortable. Si tu as réussi à la blesser, elle en fait de même et avec brio. Est-ce que tu as visé juste ? A bien y réfléchir, pas tellement. Toi par contre … T’es pas franchement à l’aise avec la question. Kaiden non plus. Il faut vivre cachés.

La mâchoire serrée, tu grommèles dans ta barbe noire. C’est vrai que tu n’assumes pas cette part de toi que tu vis pourtant pleinement ici. Les idéaux familiaux sont loin de te convenir sur le sujet. Alors tu préfères cliver cette réalité délicate. Mettre de côté ces attirances que tu ne pourrais tenir en société. Que diraient-ils, les autres Delgado ? La douche fracassante est source d’angoisses chez toi. Il n’est rien de plus malaisant ¬que de réfléchir sur soi-même. Tu la vois redescendre l’escalier, séchant sa chevelure de nouveau blonde. Bitch.

Tu laisses les minutes filer. Son thé ne lui sera pas servi de sitôt. « Je te serais gré de ne pas laisser traîner ta serviette sur le canapé de ton frère » commences-tu. « Qui d’ailleurs sera ravi d’apprendre que sa sœur pense que les gays doivent être brûlés sur le bûcher ». Fouteur de merde au possible. T’hésitera pas, elle le sait. Tu affrontes son regard, plus clair que le tien.

« Future médecin, c’est ça ? Il y a encore du travail à accomplir … L’élite est loin d’être renouvelée » Tu frôles l’indécence, si elle n’a pas encore été franchie. Tu finis par te lever, lui servant son thé d’une eau bien trop chaude qu’à la normale. Trop infusé aussi, c’est fait exprès. « Puisse ce thé être le plus amer que tu n’aies jamais bu ».

Concoction réalisée avec un soin particulier dirigé vers la malveillance. Parce que t’es fort pour cela, Delgado. Tu es très bon en la matière. L’affreux ne manque pas de ressources s’il est question de nuire. Précise compréhension des mélanges d’herbes, connaissances expertes en breuvages et autres poisons. Un membre de ta lignée ne saurait être autrement. C’est ainsi que tout se joue. Il n’est pas question de faire dans la morale.

Ce, encore plus depuis l’installation – horriblement – permanente de la blonde chez son frère. Quelle idée a pris le bellâtre d’accepter une requête aussi pénible. Le commun des mortels n’aurait pas fait cette erreur. Car pour toi, et comme tu ne vois que toi, il y a impossibilité de concevoir un autre point de vue que le tien. Tranché et incisif jusqu’au bout. Il t’est insupportable de te retrouver en la compagnie de cette immonde personne. Et si tu lui laissais l’opportunité de te surprendre, tu pensais différemment. Rude acceptation.

« Tu devrais ramasser cette serviette » préviens-tu de nouveau puisqu’elle n’en fait rien. Manière de s’éloigner de la pique que tu réceptionnes avec peine. Rognure de Nimbus 2000. Prunelles s’attachent à son faciès consistant, lisse de toute émotion. Tu n’es pas le premier à passer dans la couche du magizoologue. Point que tu ne maîtrises pas : son passé et ses relations terminées. Non, tu ne peux mettre ton grapin sur toute une vie. Sombre, regard qui trahit la méchanceté qui envahie ta pensée. « Tout va très bien, je t’en remercie ».

Tu soupires, tu marques un silence, bien décidé à ce que l’empoisonnement fasse son œuvre. Elle s’installe dans le canapé, tu sers le thé trop chaud et probablement bien trop infusé de ce fait. Et tu poursuis ta lecture de La Gazette du Sorcier, soudainement très intéressé par un article sur les nouvelles farces et attrapes. Tu parles d’une blague. D’ordinaire ces conneries ne sont pas ce que tu aimes. Mais là, autant te faire violence. Le temps que la potion agisse sur son organisme.

L’horreur que signifie le fait de ne pas se sentir à sa place, ici, chez Kaiden. Tu es gracieusement logé chez ton compagnon. C’est ça ou le manoir Delgado. Autant dire que la cohabitation avec Juliet est bien vite oubliée dès lors que tu peux vivre ton amour aux côtés du blond. Par contre tu pourrais tout à fait te contenter du domaine familial. Outre ton couple, il n’y a pas de réelle impossibilité pour toi de t’épanouir auprès des tiens. Hormis cette fâcheuse réalité qu’est ton couple. Car oui, les générations supérieures ne seront jamais ouvertes à tes préférences.

Long soupir. Tu ne supportes pas cette offense. Elle refuse de s’occuper du rangement de sa serviette. Rien de mieux pour faire grimper la tension chez toi. Haussement de sourcils. Tu restes silencieux, stoïque. Que répondre si ce n’est le mépris le plus total. A distance tu observes son front se plisser. La décoction ferait-elle déjà effet ? C’est une possibilité que tu n’exclues pas. Tes dons en potions ne sont vraiment plus à démontrer. Les poisons sont une arme de choix chez les puristes.

« Pardon ? » lances-tu, mine de rien. « Tu n’as pas trouvé mieux pour attirer mon attention ? » Tu poursuis tranquillement ta lecture, comme si de rien n’était. Il n’est pas question que tu bouges le petit doigt si tôt. « Kaiden regrette beaucoup que nous n’apprenions pas à nous connaître plus, toi et moi ». Vrai, il est question de cet état de fait très régulièrement dans vos conversations. Tu devrais faire plus ample connaissance qu’il te dit.

C’est si simple de prononcer de telles paroles. Si lourd de sens de s’avouer vaincu et de devoir quitter cette attitude hautaine pour te baisser vers ceux qui ne méritent pas ta personne. Mais est-ce que tu es prêt à faire un pas de côté ? A minimiser ta colère pour t’ouvrir à une discussion plus classique ? Tu feuillettes le journal, tu arrives étonnement aux pages dédiées aux décès. « Les avis d’obsèques … » Sale gosse de bourgeois au sarcasme débordant.

Têtue à la mesure d’une goule caméléon, la Blackthorn se fait tenace et n’abandonne pas dans cet agacement qu’elle engendre chez toi. Ton âme fulmine, bien trop compulsif pour que des objets puissent traîner dans cette humble demeure. Et si tu n’es pas officiellement chez toi, le Maître des lieux t’invite ici comme s’il en était ainsi. Et c’est donc ce Murlap que tu dois dénommer ‘’belle-sœur’’. Vraiment de quoi te retourner l’estomac. Tu n’as pas fait d’efforts particuliers, il faut l’admettre. Tu aurais pu demeurer plus soft, moins colérique, plus patient. Avec des ‘’si’’, on enfermerait Paris en bouteille, pas vrai ?

L’étrange infusion doit faire ses effets à l’intérieur de son être, son teint est plus pâle, encore plus qu’à son arrivée. Ces sorties auxquelles Juliet s’adonne, tu ne comprendras jamais leur objet. Tes pensées à ce propos sont à la fois misogynes et terriblement déplacées. Tu n’as pas un bon a priori de tout cela, d’abord parce que c’est une invention moldue ces fameuses ‘’boîtes de nuit’’. Danser dans une boîte … Séduire et se laisser déborder par les effluves de tentacula, trop peu pour toi, bourgeoisie impeccable. « Pourquoi vouloir attirer mon attention ? Ce n’est pas à moi qu’il faut le demander, tu n’étudiais pas la psychomagie jusqu’à maintenant ? »

« Ce n’est pas en appuyant bêtement sur ton ventre que tes intestins limiteront le mal » lances-tu en l’observant d’un œil distrait, bien affairé sur cette rubrique qui concerne les morts sorciers. « Je suis, me concernant, apte à toute discussion » essaies-tu de te persuader bien que présentement tu restes celui des deux qui est le moins amoché. Et dieu sait qu’il y a de quoi être mal dans sa peau au regard de son état. « Kaiden ne me fera jamais aucun mal ». Elle le sait très bien. Cet homme est profondément bon, il trouvera un terrain d’entente.

« Ce sont des accusations … ? » reprends-tu, la mine soucieuse et dévorée par la nonchalance et la comédie. En vérité tu t’amuses de cette situation. Pour combien de temps ? Car si les effets s’aggravent, il faudra bien lui venir en aide. Ta façon un peu pourrie de devenir altruiste ? « J’ai bien l’impression que tu as envie de vomir, Juliet … Tu sais où sont les toilettes ». Et tes mains plient le journal dans un geste précis et élégant, le laissant sur la table de petit-déjeuner. Tu te lèves et t’adosses plus loin, contre le comptoir, humant une nouvelle tasse de café que tu dégustes tranquillement. « A la tienne, Murlap ! »